Quelle est la situation actuelle du pays ?...

par Gérard

Quelle est la situation actuelle du pays ?
Source Human Rights Watch (2017)

En 2016, la crise politique ayant suivi l’élection présidentielle contestée de 2015 a continué en Haïti, avec pour résultat un vide de pouvoir à la tête de l’État. En février 2016, le mandat du Président sortant Michel Martelly a pris fin sans qu’un successeur ait été élu. Puis, en juin 2016, le mandat de cent vingt jours du Président par intérim Jocelerme Privert a théoriquement pris fin, mais il occupait toujours ses fonctions au moment de la rédaction de ce chapitre. En janvier 2016, après que le système parlementaire ait cessé de fonctionner en 2015, un nouveau Parlement est entré en fonction, mais l’enlisement des négociations visant à élire un nouveau Président ainsi que les membres non encore élus du Sénat et de la Chambre des députés a entravé la capacité du Parlement à se saisir de questions pourtant prioritaires.
La crise politique a continué à nuire à la capacité du gouvernement haïtien à répondre aux besoins fondamentaux de sa population, à résoudre les problèmes de droits humains qui affectent le pays depuis longtemps et à faire face aux crises humanitaires qui se poursuivent, alors même qu’une nouvelle crise est survenue en octobre 2016, lorsque l’ouragan Matthew a dévasté le sud-ouest du pays. Le Président Privert a estimé que les dégâts dépassent le montant total du budget national et s’est ému du risque de crise alimentaire, du fait de la perte des récoltes.
En août, les autorités n’avaient toujours pas fourni d’aide à la plupart des 61 000 personnes déplacées qui vivent toujours dans des camps depuis le tremblement de terre de 2010.Ne pouvant ni rentrer chez elles ni se réinstaller, beaucoup sont encore confrontées à des risques environnementaux ou menacées d’expulsion. La sécheresse affectant la majeure partie du pays est telle qu’un tiers de la population vit en situation d’insécurité alimentaire.
L’épidémie de choléra qui frappe le pays a fait plus de 9 300 morts et contaminé plus de 780 000 personnes depuis 2010. En juillet 2016, on estimait à 21 000 le nombre de cas de choléra, et l’épidémie avait déjà fait 200 morts au cours des six premiers mois de l’année. Depuis le passage de l’ouragan Matthew en octobre, le nombre de cas de choléra a fortement augmenté dans les communautés les plus touchées par l’ouragan. En novembre, le Ministère de la santé a lancé une campagne de vaccination ambitieuse, visant à vacciner plus de 800 000 personnes en une semaine.
Crise électorale
Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle et des élections législatives partielles d’octobre 2015 avaient été contestés, et le second tour avait été reporté plusieurs fois. En février 2016, pour éviter qu’une crise constitutionnelle n’ait lieu lorsque le mandat du Président sortant a pris fin, ce dernier, Michel Martelly, a signé un accord avec les présidents des deux chambres du Parlement prévoyant une solution de transition. Le Premier ministre est resté en poste jusqu’à ce que le Parlement nomme un Président par intérim, Jocelerme Privert. L’accord prévoyait qu’il serve un mandat de 120 jours et que de nouvelles élections aient lieu en avril, mais une fois encore les élections ont été repoussées, de sorte que le mandat de Jocelerme Privert a pris fin sans qu’un successeur ait été élu. A l’heure où nous écrivons, le Président Privert restait toujours en place.
En juin, une commission spéciale a confirmé la présence de fraudes et d’irrégularités dans la tenue des élections d’octobre 2015, et a fixé la date du premier tour de l’élection présidentielle en octobre. La campagne a débuté en septembre. Le scrutin a toutefois été reporté une nouvelle fois à cause de l’ouragan Matthew, et n’a finalement eu lieu que le 20 novembre. Les élections se sont apparemment déroulées sans incident majeur. A l’époque où nous écrivons, les résultats n’étaient pas encore connus. Si aucun des 27 candidats ne remporte plus de 50% des voix, un second tour est prévu le 29 janvier 2017.
Système de justice pénale
Le système carcéral haïtien reste très surpeuplé, et beaucoup de détenus vivent dans des conditions inhumaines. D’après le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, l’espace par détenu, pour presque tous les 11 000 détenus que compte le système carcéral, est de moins d’un mètre carré, et la plupart sont confinés 23 heures par jour. La surpopulation est due au nombre important d’arrestations arbitraires et à un recours excessif au placement en détention préventive : toujours selon Ban Ki-Moon, 70% des suspects sont placés en détention préventive. Bien que les Nations Unies et d’autres partenaires internationaux aient soutenu plusieurs initiatives pour faire baisser ce pourcentage, il a à peine fluctué en 2016.
Analphabétisme et entraves à l’éducation
Environ la moitié des Haïtiens âgés de 15 ans ou plus sont analphabètes. L’expert indépendant de l’ONU pour Haïti a déclaré en 2015 que l’éradication de l’analphabétisme était l’une des priorités pour les droits humains en Haïti.
Plus de 200 000 enfants en âge de fréquenter l’école primaire ne sont pourtant pas scolarisés. La qualité de l’éducation est globalement faible, et 90 % des écoles sont gérées par des structures privées exigeant des frais de scolarité qui peuvent être prohibitifs pour des familles défavorisées. En février, le Comité des droits de l’enfant a recommandé au gouvernement d’établir un cadre général régissant les établissements privés et d’inspecter régulièrement ces établissements afin de s’assurer, entre autres, qu’ils respectent des normes de qualité et qu’ils rendent dûment compte de leurs opérations financières aux autorités compétentes, y compris en ce qui concerne les frais de scolarité et les salaires.
Établir les responsabilités pour les abus passés
Le Comité des droits de l’homme et l’expert indépendant de l’ONU pour Haïti ont tous deux appelé Haïti à poursuivre les investigations relatives aux violations graves des droits humains commises entre 1971 et 1986, sous la présidence de Jean-Claude Duvalier. Ils ont appelé Haïti à amener devant la justice toutes les personnes responsables de telles violations, qui incluent notamment des cas de détention arbitraire, de torture, de disparition, d’exécution sommaire et d’exil forcé.
Duvalier est mort en 2014, six mois après que la Cour d’appel de Port-au-Prince ait jugé que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et ait ordonné que l’enquête contre lui continue. À l’heure où nous écrivons, des enquêtes sur les crimes commis par ses consorts sont toujours ouvertes.
Violences contre les femmes
Les violences faites aux femmes sont un problème extrêmement répandu. Haïti n’a pas de loi spécifique pénalisant les violences domestiques, les violences sexuelles ou les autres formes de violences faites aux femmes. Le viol est pénalisé, mais seulement en vertu d’un décret ministériel de 2005. En mars, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a appelé Haïti à accélérer l’adoption de son projet de loi sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Jusqu’à présent, la crise politique a empêché tout progrès dans l’examen du projet de loi.
Travail domestique des enfants
Le recours au travail domestique des enfants – qui sont connus sous le nom de restavèks – perdure. Les restavèks, principalement des filles, sont envoyés par des familles défavorisées pour vivre dans des familles plus riches, dans l’espoir qu’ils soient scolarisés et pris en charge en échange de menues tâches ménagères. Bien qu’il soit difficile d’avancer un chiffre précis, le nombre total d’enfants travaillant comme restavèks est estimé à 225 000 ou 300 000. Bien souvent, ils ne sont pas payés, n’ont aucun accès à l’éducation ou sont victimes d’abus physiques ou sexuels. Le code du travail d’Haïti ne fixe pas d’âge minimum pour travailler comme domestique, alors que l’âge minimum pour travailler dans une entreprise commerciale, industrielle ou agricole est de 15 ans. En mars, le Comité des droits de l’enfant a appelé Haïti à incriminer le placement des enfants comme domestiques.
Déportation et situation d’apatridie de personnes dominicaines d’origine haïtienne
Au moins 135 000 personnes – des citoyens dominicains d’origine haïtienne ainsi que des migrants haïtiens qui travaillaient en République dominicaine – sont arrivées en Haïti entre juillet 2015 et août 2016. Plus de 27 000 d’entre elles ont été expulsées par les autorités dominicaines ; 24 254 ont été expulsés sans papiers officiels ; les autres ont fui sous la menace ou la pression. Cette situation est due à un plan de régularisation des étrangers sans papiers adopté par la Républicaine dominicaine en 2015. Bien des expulsions ne respectaient pas les normes internationales et de nombreuses personnes se sont retrouvées soumises à des expulsions arbitraires et sommaires sans la moindre possibilité d’en contester la légalité.
Certains des arrivants les plus vulnérables vivent dans des camps de fortune dans la région d’Anse-à-Pitres, dans des conditions très précaires avec un accès insuffisant ou inexistant aux services de base. Entre avril et mai 2016, des organisations humanitaires ont réussi à transférer 580 de ces familles dans des logements.
Principaux acteurs internationaux
La MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) est active depuis 2004 et a contribué aux efforts pour améliorer la sécurité publique, protéger les populations vulnérables et renforcer les institutions démocratiques du pays. Le Conseil de sécurité de l’ONU a récemment prorogé son mandat jusqu’au 15 avril 2017.
En août, réagissant de manière anticipée à un rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, un porte-parole du Secrétaire général a déclaré que l’ONU devait « faire plus au regard de sa propre implication dans l’apparition de l’épidémie de choléra et de la souffrance des personnes affectées ».
En octobre, le Rapporteur spécial a soumis son rapport final, dans lequel il critiquait le Bureau des affaires juridiques et déclarait que le Bureau avait avancé « des arguments juridiques manifestement artificiels et totalement infondés pour insister que l’organisation évite d’admettre sa responsabilité ». En réponse, le Vice-secrétaire général a annoncé une nouvelle approche relative à l’épidémie, qui inclura désormais deux volets, avec non seulement une intensification de la lutte contre le choléra mais aussi un plan pour apporter une assistance matérielle aux communautés les plus affectées.
Enfin, lors d’une session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies qui s’est tenue en décembre, M. Ban Ki-Moon, Secrétaire général, a présenté des excuses au nom de l’ONU : « Nous nous excusons auprès du peuple haïtien. Nous n’avons tout simplement pas fait assez concernant l’épidémie de choléra et sa propagation en Haïti. Nous sommes profondément désolés pour notre rôle », a-t-il déclaré. Il a présenté la fourniture d’une assistance matérielle et d’un appui aux personnes les plus gravement touchées par le choléra comme « l’illustration concrète » de la « consternation palpable que l’Organisation éprouve face aux souffrances endurées par tant d’Haïtiens ». Du côté des victimes de l’épidémie, les premières réactions ont été positives, tout en soulignant que les consultations à venir pour mettre en œuvre le nouveau plan se devront d’être robustes.
En août, l’appel interjeté en 2013 par l’Institut pour la Justice et la Démocratie en Haïti et le Bureau des Avocats Internationaux au nom de 5 000 victimes de l’épidémie de choléra a été rejeté par la Cour d’appel fédérale du deuxième circuit des Etats-Unis. À la date où nous écrivons, aucun recours n’a encore été déposé auprès de la Cour suprême des Etats-Unis. À ce jour, les faits entourant l’introduction du choléra et la question de l’implication des Nations Unies n’ont encore fait l’objet d’aucune adjudication indépendante.
Selon des chiffres publiés par le Bureau des services de contrôle interne de l’ONU, au moins 102 accusations d’abus ou d’exploitation sexuelle ont été portées contre des membres du personnel de la MINUSTAH depuis 2007.