L’enseignement en Haïti.

par Gérard

Les différents niveaux, les types d’enseignants, les formations. L’imbroglio des écoles.

Les enseignants et les écoles en Haïti.

1.1 Les enseignants du niveau fondamental.
Ils sont répartis dans l’ordre de 47 % pour le milieu urbain et de 54 % pour le milieu rural.

1.2. Les enseignants du secondaire
Les enseignants du secondaire se répartissent en 79 % pour les zones urbaines contre 21 % pour les zones rurales (23% des professeurs à temps plein fonctionnent dans le rural).

2. Personnel enseignant et langues
Le créole est la langue de tous les Haïtiens, il n’en est pas de même du français qui est une langue apprise le plus souvent en milieu scolaire. Les enseignants sont supposés être issus des rouages de la scolarisation donc bilingues. Cependant, on retiendra l’utilisation ou non des deux langues dans l’acte d’enseignement comme un indicateur. En effet, selon la réforme Bernard (1980), la scolarisation doit se faire exclusivement en créole dans les trois premières années avec une introduction parallèle du français oral qui ne deviendra langue d’enseignement qu’au troisième cycle du fondamental. Vu les débats idéologiques soulevés par cette réforme, certaines institutions, surtout en zone urbaine, ont choisi de s’en démarquer. Il s’ensuit une situation quasi anarchique de l’application de la réforme :
Dans certaines écoles, les enseignants ont recours au créole dans leur enseignement. Ailleurs, l’enseignement se donne soit en créole, soit en français, soit le plus souvent dans les deux langues. À Port-au-Prince, la capitale, l’enseignement se fait surtout en français ; hors de cette zone, le créole est majoritairement utilisé. Les « écoles borlettes » privées et payantes, qui permettent de gonfler les Borlettes : nom d’une loterie populaire en Haïti. Les écoles médiocres ont été assimilées à ce jeu de hasard où chacun vient sans condition retirer un numéro.

Les statistiques officielles sur l’éducation, se sont multipliées pour des résultats non convaincants. Seul l’enseignement privé traditionnel échappe à cet état de déliquescence.
Dans le secondaire et l’université, la langue d’enseignement demeure, dans tous les cas, le français.

3. Profil des enseignants selon le niveau d’études
Les enseignants haïtiens sont majoritairement sans diplôme et sans reconnaissance sociale. Ils cherchent à exercer d’autres métiers jugés plus prestigieux. Le corps enseignant a une moyenne d’âge plutôt jeune, élément qui peut expliquer la grande mobilité / labilité connue dans ce secteur. Les enseignants représentent une main-d’oeuvre disponible et bon marché pour les écoles / industries, qui peuvent offrir jusqu’à trois vacations par jour.
D’après les statistiques, plus de 60% des enseignants du secteur privé n’ont aucune qualification académique et professionnelle. Toutefois, plus d’un tiers des enseignants du public sont issus des écoles normales. Ces derniers, s’ils peuvent négocier un meilleur salaire en faisant valoir leur diplôme, ne font pas pour autant l’objet d’une prise en charge particulière de la part de l’Etat. La titularisation d’un normalien (issu de l’école normale d’instituteurs ou de l’école normale supérieure) se joue, le plus souvent, sur la base de ses relations personnelles. On distingue deux types d’enseignants sans formation initiale :
- le « recruté », accueilli dans l’établissement avec pour unique bagage son certificat de fin d’études secondaires ou son diplôme de niveau fondamental,
- le « Capiste », qui, après son recrutement, a suivi des séminaires de formation débouchant sur l’attribution du certificat d’aptitude professionnelle.

3.1. Les enseignants du préscolaire
Le milieu rural est moins favorisé que le milieu urbain en ce qui concerne la présence de jardinières formées. Il faut préciser à ce sujet, que ces dernières ont tendance à ouvrir une école plutôt que de se faire embaucher comme jardinière, ce qui est plus rentable du point de vue économique. Quoi qu’il en soit, le nombre d’écoles ouvertes au pré-scolaire est très limité.

3.2. Les enseignants du niveau fondamental. Les autres enseignants ont un niveau variant entre la neuvième année fondamentale et la classe de philo.
Le profil académique et professionnel des enseignants qui exercent au niveau fondamental varie considérablement selon la zone d’exercice (milieu rural, milieu urbain).

3.3. Les enseignants du secondaire
L’enseignement du secondaire repose en grande partie sur des chargés de cours : 90 % du personnel enseignant sont des hommes. 15% sont normaliens, 51 % ont une formation de niveau universitaire, 26 % ont leur diplôme terminal. Le pourcentage restant concerne ceux qui ont soit seulement le bac 1 (4 %) ou encore le niveau seconde ou moins (6 %).

4. Salaire des enseignants
Le salaire d’un enseignant en Haïti dépend de la catégorie de l’institution à laquelle il est rattaché. En effet, la privatisation de l’enseignement en Haïti fait que ce secteur fonctionne selon les mêmes lois que le marché ordinaire. Tout dépend de l’offre et de la demande. Si certains enseignants sont mieux payés que d’autres, il serait cependant hasardeux d’affirmer que le salaire de l’enseignant est en relation avec les bénéfices réalisés par l’école. Il est rare que les propriétaires d’école s’inscrivent dans la visée du commerce équitable. Beaucoup d’écoles primaires paient 50 US pour un enseignement à plein temps !

- L’enseignant au niveau secondaire est inscrit dans ce qu’on pourrait appeler le libre-échange. Ces salaires varient fortement selon le milieu géographique, ou encore l’institution scolaire.

5. Formation et perspectives d’évolution de carrière

5.1. Institutions intervenant dans la formation des enseignants non diplômés. Depuis 1998, le Ministère de l’éducation nationale en Haïti, aujourd’hui MENFP (Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle) a lancé le Plan National d’Education
(PNEF). Ce plan prévoit l’autonomisation des Directions Départementales d’Education (DDE) et la transformation des 12 écoles normales d’instituteurs (ENI) en Centres d’Enseignement Fondamental (CFEF). Dans cette même logique a été élaboré le concept d’École Fondamentale d’Application Centre d’Appui Pédagogique (EFACAP).
Le PNEF propose la définition suivante de l’EFACAP : « Une école de qualité équipée pour servir de relais aux DDE et aux CFEF en matière d’encadrement pédagogique des écoles fondamentales, tant privées que publiques situées dans un rayon d’action données. » Concrètement, une EFACAP est l’association d’une école fondamentale d’application EFA, et d’un centre d’appui pédagogique. Toute institution étatique ou privée peut choisir de devenir EFACAP, c’est-à-dire proposer son établissement pour des stages de formation et former ses propres enseignants.

Différents projets concernant les établissements scolaires et la formation des maîtres ont donc été lancés parmi lesquels on peut retenir  :
- Le Programme d’Appui à l’Education Haïtienne (PAEH), financé par la Coopération française, en soutien à des actions aussi bien au niveau de l’école fondamentale qu’au niveau universitaire. Par exemple, la formation en didactique des langues (licence et Master) qui se donne actuellement à l’école normale supérieure (ENS) de Port-au-Prince et à la Faculté de linguistique appliquée (FLA) est une des réalisations conjointes de l’université d’Etat d’Haïti (UEH) et du PAEH. Le PAEH a également un volet qui concerne le nouveau secondaire.
Ce projet a en outre contribué à la mise en place du seul CFEF existant, qui remplace l’ancienne ENI de Martissant. –
- Le Projet d’Appui au Renforcement de la Qualité de l’Education (PARQE), projet du MENFP, financé par l’Union Européenne. Il concerne 4 départements : Sud, Nord, Centre, Grande-Anse. Il inclut 18 EFFACAP.
- Le Projet d’éducation de base (PEB), financé par la Banque internationalede développement (BID) et le Projet d’éducation intégrée dans l’Artibonite (PEIA), financé par l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI). Le PEB gère 10 EFACAP et le PEIA 5 EFACAP situées dans l’Artibonite.

Certaines institutions non gouvernementales et privées remplissent un rôle au moins égal à celui de l’Etat haïtien en ce qui a trait à la formation des maîtres et à la conception de matériel didactique. On retiendra les plus importantes :
- La Commission Episcopale pour l’Education Catholique (CEEC),
- La Fondation Nationale Haïtienne des Ecoles Privées (FHONEP),
- Oganization pou Kore Peyisan Kao (OKPK),
- La Fondation Konesans Ak lLbète (FOKAL), le Programme Ttpa tipa step by step

Ces institutions sont financées par les bailleurs de fonds internationaux tels l’ACDI, le PNUD etc. Elles ne rendent compte au MENFP que dans le cadre de la validation des formations.
Ces organismes entreprennent des formations destinées aux enseignants n’ayant pas reçu de formation initiale, dans les domaines suivants : français, mathématiques la question suivante à propos des enseignants, des élèves et des formateurs : Qu’est-il bon que les enseignants sachent dans les matières qu’ils enseignent et que doivent-ils privilégier pour que l’enseignement de cette matière s’inscrive dans une pratique pédagogique porteuse du sens ? Même, la question linguistique, pourtant capitale dans le contexte haïtien, est rarement abordée comme une priorité.

5.2. Dispositif de formation initiale en vigueur.

Le PNEF (1998) représente un effort de réponse face à la croissance des écoles privées. Cette
augmentation du nombre d’institutions scolaires a eu des répercussions sur le dispositif de la formation des maîtres. Aujourd’hui, la formation initiale est organisée comme suit.

Monitrices pour l’enseignement préscolaire
L’enseignement préscolaire représente un élément nouveau dans le paysage haïtien : il se trouve
essentiellement dans la capitale (population de 2 Millions d’habitants). Les monitrices sont recrutées à partir du 2ème secondaire et reçoivent à la fin d’un cursus de trois ans un diplôme de jardinière d’enfants. Il existe actuellement un référentiel officiel précisant en quoi devrait consister l’éducation préscolaire en Haïti. Il faudrait cependant une étude plus poussée pour établir le fonctionnement spécifique des établissements de formation des monitrices.
Ecoles normales instituteurs (ENI) Il existe 18 écoles normales (11 publiques, 7 du secteur privées). Ces institutions délivrent environ 600 diplômes par an. Les étudiants doivent avoir à l’entrée le diplôme de fin d’étude secondaire et effectuent un cursus de trois ans. Il serait là encore difficile d’approfondir la question du fonctionnement réel de ces établissements.

Centres de formations à l’enseignement fondamental (CFEF)
Il n’existe aujourd’hui qu’un seul CFEF, (géré par PARQE) alors que le PNEF prévoyait la transformation de toutes les ENI. On ne peut parler d’un fonctionnement radicalement différent des CFEF par rapport aux ENI. En effet, quoique doté d’un curriculum spécifique, le CFEF de Martissant se différencie des ENI par la seule ambition de rendre les enseignants aptes enseigner à tous les niveaux de l’école fondamentale. Les stages d’applications sont-ils plus nombreux qu’au niveau des ENI ? Il faudrait sans doute une étude plus avancée pour répondre ; cependant, le curriculum du CFEF de Martissant, ne fait pas explicitement mention de ces stages d’application.
Enseignement supérieur de l’éducation (au nombre de 8), n’ont pas un niveau effectivement plus avancé que les ENI. Adopter l’appellation de faculté de sciences de l’éducation est une plus-value commerciale utile pour attirer un public (clientèle) en quête de diplôme et de reconnaissance sociale.
Cette situation n’est pas sans poser problème. D’un côté, des enseignants du secondaire (ceux issus de l’école normale supérieure) se sentant plus légitimes que d’autres par leur bagage intellectuel, et de l’autre ceux qui se sentent armés pédagogiquement pour faire face à une situation d’enseignement.

Capistes
En ce qui a trait à la formation donnée aux Capistes, il est difficile d’avoir une vue d’ensemble.
Les séances de formation dépendent uniquement de la volonté du directeur d’école qui la met en place. Si on ne peut comparer de manière rigoureuse le contenu de ces formations par rapport au besoin des enseignants, on notera que c’est une initiative qui devient de plus en courante de la part des directeurs d’écoles. Les graphes ont montré une forte présence des Capistes dans les milieux urbains. On notera du moins la grande hétérogénéité du public participant aux séminaires organisés par les maîtres d’école. En effet, les diplômés de niveau universitaire, formés à l’extérieur, découvrent un nouveau marché : la formation de formateur. Ces diplômés montent des cabinets de consultation qui font payer assez cher leur prestation. Le coût d’une formation personnalisée se révèlerait une charge trop importante pour le responsable d’institution.

Conclusion

Le milieu éducatif haïtien est un chantier comme on a pu le constater. L’enseignant Capiste ou recruté est le maître de ce terrain complexe qui s’inscrit par-dessus tout dans une logique de commercialisation/marchandisation du savoir.
Les projets lancés par l’Etat ne font pas le poids face à cette logique de marché. L’intérêt des directeurs d’école pour la qualification de leurs enseignants est concomitant d’un désir de visibilité ; des élèves bien formés ne manqueraient pas d’attirer l’attention des « potentiels consommateurs » que sont les parents et les élèves.
L’Etat joue de temps à autre le rôle régulateur qui est le sien en fermant des « écoles borlettes »). Mais cela ne suffit nullement à résoudre le problème crucial de la qualité de l’éducation et encore moins à améliorer la compétence des enseignants des différents niveaux académiques.
Toutefois, on notera que le dispositif EFACAP, s’il est approprié par les écoles et si l’Etat répond aux obligations que sous-tend ce dispositif, peut apporter beaucoup à la professionnalisation de l’enseignant en exercice. Il importe cependant dans toute entreprise de formation dans ce milieu, de ne pas négliger le facteur linguistique. Une compétence seuil en créole et en français devrait être définie comme qualification de base de la pratique enseignante. Ainsi, la tâche ’incomberait pas uniquement aux seuls techniciens et ingénieurs de l’Education mais à ceux linguistes et didacticiens qui réfléchissent sur les manières d’acquérir et de transmettre une langue.