Une semaine en Haïti N° 1610 16 Août 2023

par Gérard

Victimes des gangs, des résidents de Carrefour-Feuilles racontent leur calvaire
Un article du journal « Le nouvelliste »

Plusieurs dizaines de familles occupent la cour du gymnasium Vincent à la rue Romain, a constaté Le Nouvelliste, jeudi 17 août 2023. Tous ceux qui squattent cet espace sportif et culturel à quelques kilomètres du palais national, ont leur histoire et portent leur peine. Cependant, ils ont tous un point en commun. Ils viennent de Carrefour-Feuilles et fuient la terreur des gangs.

Par Jonasson Odigène
• 11 heures. Dans la cour du gymnasium Vincent chacun essaie de s’accrocher à la vie et de trouver une occupation. Certains dorment encore sous les tribunes, d’autres discutent des dernières rumeurs entendues sur leur quartier alors que les enfants, eux, insouciants, jouent. Linges, vêtements, morceaux de cartons sont étalés pêle-mêle au soleil, rappelant un camp de réfugiés du post-séisme du 12 janvier 2010. La nuit précédente n’a pas été de tout repos, il a plu des cordes sur Port-au-Prince.
Marc-Arthur est de ces personnes qui ont fui Carrefour-Feuilles. Ce matin, il porte un maillot bleu marine avec des barres bleues et un pantalon bleu. Les mêmes habits qu’il porte depuis la nuit fatidique du dimanche 13 août, confie-t-il au journal. « J’habitais une maison de fortune à Savane-Pistache. Quand les tirs ont débuté, je n’étais pas là. Mais un peu plus tard dans l’après-midi, les tirs ont cessé et je me suis rendu sur place pour récupérer quelques affaires et c’est là que les bandits m’ont capturé. Ils m’ont volé les seules économies qu’il me restait et m’ont laissé partir », raconte-t-il.
Aujourd’hui, accompagné de sa mère sexagénaire et de son grand-frère souffrant de déficience mentale, Marc-Arthur se réfugie au gymnasium Vincent et ne sait à quel saint se vouer. Il appelle les autorités à voler au secours des réfugiés et à mobiliser des troupes en vue de déloger les bandits qui imposent leur volonté à Carrefour-Feuilles.
La vie au gymnasium n’est pas ce qu’il y a de mieux. L’un des réfugiés, un homme ayant requis l’anonymat, confie que pendant une pluie la veille, les responsables de la Direction de la protection civile (DPC) ont permis aux réfugiés d’occuper l’intérieur du gymnasium mais leur ont demandé de regagner la cour tôt le lendemain matin. « Il n’y a pas d’infrastructures pour nous accueillir ici. Ce n’est que ce matin qu’on nous a apporté de l’eau. Il n’y a pas d’espace pour prendre un bain, les blocs sanitaires ne fonctionnent pas. On tente de les rendre fonctionnels », rapporte-t-il.
D’autres réfugiés témoignent au RNDDH
Au cours de cette même journée, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a accueilli des réfugiés afin de documenter leurs témoignages. Dominique est âgée de 33 ans, son témoignage est devenu viral sur la Toile. Ancienne résidente de la rue Monseigneur Guilloux prolongée, Dominique affirme avoir perdu sept de ses proches, dont cinq membres de sa famille à Savane-Pistache. « Ma famille habitait un shelter à Savane-Pistache, moi j’habitais une autre maison avec mon mari un peu plus bas. Quand les tirs ont commencé, j’ai pris mes deux derniers enfants et je me suis enfuie. Eux, ils ont cru que les tirs allaient cesser et n’ont pas cherché à quitter la zone. Ils ne sont pas sortis vivants », raconte-t-elle en pleurs, relatant que des rumeurs circulant sur les réseaux avaient annoncé l’attaque des bandits.
Parmi les victimes, Dominique compte sa mère qui vient de fêter ses soixante ans, son beau-père, un fils de 18 ans, deux sœurs et un frère. « Au début, les assaillants ont lancé un cocktail Molotov en direction de la maison où ils étaient. Je n’ai pas vu la scène, ce sont trois voisines qui m’ont dit que ma famille n’a pas survécu à l’attaque », se lamente-t-elle, confiant qu’elle a lancé des messages sur les ondes au cas où ils seraient vivants, des messages restés sans réponse jusqu’ici.
« Je suis née et j’ai toujours vécu à Carrefour-Feuilles, ma mère y a toujours vécu. Aujourd’hui, je pourrais vivre n’importe où, il suffit d’être en compagnie de ma famille », supplie Dominique.
Beaucoup de survivants affirment avoir fui leurs domiciles avec les vêtements qu’ils portaient au moment de l’attaque. D’autres ont déclaré n’être pas en possession de leurs documents d’identité et ont déclaré incendiés par les malfrats qui ont attaqué leurs maisons.
Au gymnasium Vincent, des équipes de la DPC ont été aperçues sur place. Selon le superviseur général, Jean-Charles Lafortune, la DPC est présente afin d’accompagner la population et de coordonner les aides qui vont arriver. Selon ses dires, l’institution est aussi présente dans les autres centres ayant accueilli les réfugiés. Elle leur apporte de l’eau, grâce à la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA). En plus, grâce à la délégation de la mairie de Port-au-Prince, un repas chaud est offert aux réfugiés au quotidien.
D’après les chiffres communiqués par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), grâce à sa matrice de suivi du déplacement (DTM) entre le 12 et le 15 août, environ « 1 020 ménages comprenant 4 972 individus se sont déjà déplacés de Carrefour-Feuilles ». Outre le gymnasium Vincent, des réfugiés sont aussi logés dans d’autres espaces a appris le journal. Des données partielles du RNDDH font état d’au moins 20 morts au cours des assauts criminels.

Port aux Princes sous la coupe des gangs.
L’insécurité qui sévit à Port-au-Prince a encore fait de nouvelles victimes dans la population civile ce mercredi 16 août. Au moins cinq personnes ont été abattues dans un tap-tap à Delmas en début d’après-midi.
Selon une source policière contactée par le journal, au moins une personne a été tuée à Delmas 33 et une autre à Gérald Bataille pendant la même journée.
Dans ces deux cas, on ignore les motifs et les circonstances des fusillades.
Dans le département de l’Artibonite, un peu plus tôt dans la journée, au moins deux personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées par balle sur la route nationale numéro 1, au niveau de Moreau/Peille (bas Artibonite). Selon des informations rapportées, ces actes ont été perpétrés par des membres du gang « Gran grif » de la localité de Savien.
Aux Gonaïves un véhicule de la Police nationale d’Haïti a été incendié, deux armes de l’institution emportées par le gang « Kokorat san ras ». Des membres du gang Kokorat sans ras ont incendié, le mercredi 16 août 2023, un pickup de la PNH qui transportait des agents de la Brigade d’intervention (BI) à la Croix-Périsse. L’incident s’est produit dans la matinée quand le véhicule en question est tombé dans une embuscade, selon un responsable au commissariat des Gonaïves. Les malfrats ont emporté deux fusils d’assaut de l’institution qui se trouvaient dans ledit véhicule. Les policiers présents ont passé plusieurs minutes à échanger des tirs avec les membres du groupe armé mais ont fini par se désengager faute de renforts.

Insécurité
Contre la force multinationale, des acteurs haïtiens écrivent à la Russie et à l’Union africaine

Alors que tous les regards sont fixés sur une force multinationale pour contrer la montée en puissance des gangs armés qui sèment la terreur et le deuil en Haïti, des acteurs politiques et de la société civile demandent à la Russie et à l’Union africaine de faire opposition au déploiement de la force.
Par Robenson Geffrard

Alors que tous les regards sont fixés sur une force multinationale pour contrer la montée en puissance des gangs armés qui sèment la terreur et le deuil en Haïti, des acteurs politiques et de la société civile demandent à la Russie et à l’Union africaine de faire opposition au déploiement de la force. Dans deux correspondances envoyées à l’ambassadeur de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Union africaine, ils qualifient cette force de force d’occupation et appellent à son blocage.

Pour ces organisations politiques et de la société civile, ce n’est pas une force multinationale qui va résoudre le problème de l’insécurité dans le pays. Selon les signataires de cette correspondance à la Russie, les gangs armés qui sèment la terreur dans le pays sont un « outil de légitimation de l’occupation étrangère ». « Pour préparer l’opinion publique nationale et internationale à accepter l’inacceptable, le gouvernement de facto actuel et les gangs armés sont activement et quotidiennement mobilisés en vue d’aider à renforcer le chaos fabriqué devant servir de justification à l’occupation », ont-ils affirmé.

« Nous tenons à vous informer que la demande illégale d’une intervention militaire qui sert de prétexte au secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, et à l’administration Biden a été formulée par un gouvernement haïtien de facto et décrié. Ce gouvernement est prêt à tout pour assurer son maintien au pouvoir et continuer ainsi à opprimer le peuple haïtien au profit de ses supporteurs internationaux, ses patrons pour lesquels il travaille », écrivent-ils à Dmitry Polyanskiy, représentant de la Fédération de Russie auprès du Conseil de sécurité des Nations unies.

Les signataires se questionnent sur les annonces à « répétition en faveur de la Police nationale d’Haïti alors que de puissants chefs de gangs sont des protégés des plus hautes autorités en place, y compris les autorités policières. »

Selon eux, le peuple haïtien réclame « l’envoi en urgence sur le terrain d’une commission d’enquête indépendante incluant, entre autres, des représentants de la Russie et de la Chine pour une évaluation d’abord du niveau de complicité entre les gangs armés, le Core Group et le pouvoir en place et ensuite pour une évaluation de ces dix-huit années d’accompagnement de l’ONU ayant conduit à la situation chaotique actuelle. »

« Vous avez donc un rôle crucial à jouer en refusant la voie de la complicité dans la déstabilisation d’Haïti et en vous opposant, pour le plus grand bien de notre pays, au projet criminel américano-onusien d’occupation », ont-ils demandé à la Russie.

Les organisations et personnalités signataires de la correspondance laissent croire qu’elles ont été consultées par la Russie sur les démarches visant à envoyer au pays une force multinationale.

Dans une autre correspondance envoyée à l’Union africaine, ces mêmes signataires ont demandé aux pays africains de s’opposer à l’initiative du Kenya visant à prendre le leadership de la force multinationale.

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