L’arrivée en Haïti

par Gérard

Jeudi 7 juillet. Vendredi 8 juillet.
Arrivé hier, jeudi 7 juillet, avec 1H30 de retard. Les passagers ont droit a un bagage cabine, ils le savent, il y a juste la place. Il faut rentabiliser les vols… Pourtant ils essaient de passer avec 2 ou 3 sacs… non seulement ils doivent payer, mais on est obligé de rouvrir la soute pour mettre ces excédents. Du temps perdu. Et cette fois en plus, trois passagers ont enregistré leurs bagages et ne se sont pas présentés lors de l’embarquement… Alors il a fallu retrouver ces bagages pour les descendre. On ne sait jamais, par les temps qui courent…Tout cela s’accumule…
Port au Prince. Il fait 39°, ça change du printemps pourri que nous avons eu en France. Pour une fois j’ai trouvé mes bagages dans les premiers. Ostene et Jérémie attendaient. Ils sont toujours à l’heure. Ostene nous a conduits jusque chez lui, à Demas 31, à travers les embouteillages. Pas de feux aux croisements : c’est l’électricité qui fait défaut ; tout le monde essaie de passer en même temps et ça s’empile ! Il faudrait des agents de circulation à chaque carrefour, et c’est impossible. J’ai vu la même chose en mai en revenant à l’aéroport. On a l’impression d’avoir mis le film sur « pause » et voilà : tout repart comme on l’a laissé. Klaxons, gaz d’échappement, blocus…on s’habitue très vite. Ostene conduit vite, il se faufile avec habileté dans ce labyrinthe de ruelles… il voudrait voir la seconde mi-temps du match France Allemagne. Je parie avec lui sur la victoire de la France. Les Haïtien sont très fanas de foot. Leurs équipes favorites sont le Brésil et ensuite la France. Je remarque que quand Doc (Ostene) parle de l’équipe de France il dit « nous ». Malgré tout le tragique de l’histoire sanglante qui nous lie, et l’attitude encore trop souvent colonialiste et condescendante de certains, il y a des liens très forts entre Haïti et la France.
Ensuite j’ai repris la voiture d’Ostene pour aller jusqu’à Meyotte. Re-embouteillages, cette fois c’est Delmas qu’il faut traverser sur des kilomètres jusqu’à Pétionville. Heureusement, on ne perd pas l’habitude de conduire à Port au Prince. Pour un novice, ce serait un vrai cauchemar, surtout la nuit. Il y a d’énormes trous dans la chaussée, il faut de la chance pour les voir, avec les voitures non éclairées, les phares mal réglés, l’anarchie totale entre les voitures tap-tap, motos, les piétons partout au milieu des rues, les éclairages mal réglés…Ce sont peut-être en partie des restes de l’après séisme. « Si je ne me bats pas, je n’ai rien ». La politesse est peut-être le luxe de ceux qui n’ont pas faim.
Il y a cependant de petits progrès dans le comportement des gens. Mais les longues habitudes de lutte pour la survie sont difficiles à changer. Moi, moi, moi…et pourtant il y a une tradition de solidarité très développée, par exemple pour recueillir les enfants abandonnés, pour loger les familles qui se retrouvent dans la rue…
Déchargé les valises ! Elles ne contiennent que des fournitures scolaires, des produits qu’on nous a demandés des médicaments…ici le voyageur n’a pas besoin de grand-chose.
Content de revoir Rosemate, qui a encore amélioré ses notes. Une fille sérieuse. Elle passe en Rétho et entame les vacances. Elle ne veut plus être journaliste comme il y a quelques mois… maintenant c’est infirmière…elle a encore le temps. La rétho, c’est l’équivalent de la première. Il y a encore la terminale et le bac à passer à la fin. C’est encourageant de voir des jeunes qui réussissent. Sur les deux ordinateurs que j’ai emportés, il y en a un qui restera à la maison Meyotte. Nous y accueillons des étudiants qui viennent travailler en groupes. Ils y trouvent de bonnes conditions, l’électricité, l’ombre de la terrasse. Rares sont les jeunes issus de milieux pauvres qui peuvent poursuivre leurs études plus loin que le bac. Difficile.
Les deux membres du Collectif , Mathilde et Céline , sont parties ce jeudi matin, le jour de mon arrivée. Elles sont restées un quinzaine de jours. Il est intéressant pour nous qu’il y ait des voyageurs à la maison de Meyotte. C’est « gagnant gagnant », ça nous aide un peu pour le loyer. Les hébergements sont chers en Haïti. Rosemate et Jérémie font bien la cuisine. Avec Jéremie, ils gèrent parfaitement la maison et assurent l’accueil. Jérémie gère une partie des parrainages. Le système des chèques se met en place. C’est beaucoup plus de sécurité que de transporter des enveloppes. Pour les familles parrainées ce sera tous les deux mois. Il faut être prudent : une personne s’est fait assassiner en avril, en revenant de l’aéroport. C’était un collègue d’un membre du collectif.
La voiture de l’association est chez le garagiste elle a été mal entretenue par le précédent responsable. Difficile de trouver des gens de confiance. Ici, il est très difficile de réparer une voiture, les mécaniciens manquent de l’outillage de base. Nous irons demain voir où il en est.
Vendredi matin nous sommes passés voir une jeune fille parrainée : Scaëlle. Elle vit avec ses trois petits frères et sœurs et sa maman dans un logement qu’avec les parrains, nous aidons à payer à Canapé Vert. La famille va bien. Le petit frère a été opéré en début d’année avec l’aide des parrains et de l’association. Les 700 € ont servi à quelque chose. Il est très bien remis. Quand nous visitons la famille, il est au foot avec ses copains. Ici, il n’y a aucune assurance. Les gens subsistent au jour le jour. Sans nous, le petit était condamné. Autre problèmes…(bien sûr il y en a toujours) : le propriétaire du petit logement a décidé de faire des travaux dans ce logement, qui est effectivement très délabré. Il a donné huit jours à Scaëlle et sa famille pour quitter les lieux. La maman cherche un autre pied à terre dans le secteur. Huit jours avant le délai, elle n’a encore rien trouvé et risque de se retrouver à la rue. La maman est née dans ce quartier ; elle va trouver. Le quartier, l’implantation géographique d’une famille est essentielle ici : l’entraide, les amis, mais aussi une place pour le marché de rue, l’école pour les enfants…les échanges de services de toutes sortes aident à survivre.
Toutes cette précarité est violente. On ne sait jamais, quand on est pauvre, de quoi le lendemain sera fait. Heureusement ; les parrains, qui sont généreux, ont donné l’argent pour une année de loyer : 430 €, que la famille a mis de côté pour le prochain bail…du prochain logement. Les propriétaires exigent un an de loyer d’avance. Le problème est que tout ce que la maman a trouvé jusqu’à maintenant est un peu au-dessus de cette somme. Ici, une activité telle qu’un petit commerce de rue peut rapporter une trentaine d’€ par mois, au mieux 50. C’est très peu pour faire vivre une famille. En échange, les parrains ont demandé les bulletins de notes de Scaëlle et de son petit frère, et ils ne les ont jamais reçus… l’explication est que Scaëlle étant en 9ième année, elle vient de passer les examens d’Etat, et que le 4ème contrôle n’est pas encore noté sur son carnet. Ce sera fait en août ou septembre. Elle me montre ce carnet : elle a des notes tout à fait correctes et passe dans le secondaire. C’est un bureau du ministère qui rempli le dernier bulletin car c’est un examen d’état. En Haïti, le temps n’est pas tout à fait le nôtre. Il faut beaucoup de patience. Alors, quand les parrains ne reçoivent rien, ils se posent des questions. « Est-ce que les enfants vont toujours à l’école ? Est-ce qu’il n’y a pas de problème de santé etc… »
Scaëlle me montre avec fierté le bulletin de son petit frère : il a d’excellentes notes. Les parrains seront rassurés. Sans eux, on a du mal à imaginer ce que serait la vie de cette famille. Une parmi de très nombreuses autres.
Nous sommes passés changer des €uros. Mauvaise surprise : le taux de change est 67 gourdes pour un euro. L’euro a sans doute baissé à cause des problèmes suite au vote des Britanniques. Pour nous, c’est un problème pour les parrainages, et aussi au niveau de l’achat de matériaux. La vie est très chère en Haïti. Tout a énormément augmenté, à commencer par les produits de première nécessité, les matériaux à cause en partie de la dévaluation constante de la gourde. Il nous faut construire, dans une semaine, le premier étage de l’école de Verrettes et ça va être juste.
Nous passons à Delmas acheter quelques bricoles pour la maison de Meyotte. Les visiteurs sont assez réguliers et Rosemate a besoin d’une d’une grande marmite… Les volontaires de Coup de Pouce on prévu un Week-end à Port au Prince entre leurs deux semaines de travail. Ils sont 13 et risquent de passer deux nuits à la maison Meyotte… il va nous manquer des chaises.
Nous avons rendez-vous ce vendredi avec le garagiste à 16 heures. C’est tout en bas de ville, il faut traverser quelques bouchons sous le soleil… Le garagiste n’est pas là ! Son téléphone ne répond pas. Au bout d’une heure d’attente, nous apprenons qu’il est à un séminaire (il est compagnon de Jéhova !). Il y a des habitudes détestables concernant la ponctualité…
On a trié les fournitures scolaires pour les partager entre les écoles. Il y a aussi beaucoup de DVD pour les ciné clubs, les médicaments pour les petites pharmacies des écoles.
Nous avons fait l’emploi du temps pour la suite : ce sera serré. Nous allons à Verrettes lundi pour préparer l’arrivée des volontaires. Il faut penser à tout. Groupe électrogène, matelas pneumatiques, lampes à led solaires, gants de chantier et outils…aménager les douches, voir les problèmes d’eau…les cuisinières, la nourriture, les boissons…. Rencontrer le Boss maçon pour négocier les prix…(dès qu’ils travaillent avec une association, les prix augmentent, et c’est toujours une bataille pour obtenir le prix normal.
Ensuite nous partons directement dans le Nord Est. Un projet de construction d’une cassaverie et un laboratoire de transformation de fruits, à Capotille, avec un comité de paysans. Il faudra aller voir les champs envisager les possibilités d’aide pour qu’ils développent la culture du manioc amer… (pompes pour l’irrigation)…

Réunion avec les paysans qui désirent s’engager dans le projet et le comité.
Beaucoup de, mises au point à faire, en particulier sur les conditions et le fonctionnement d’un système coopératif. Il faut des règles et des engagements réciproques. Depuis toujours, nous essayons de mettre en place de projets sur le modèle de l’économie sociale et solidaire. Il faut beaucoup de rigueur et de formation. (voir nos articles sur l’économie sociale et solidaire en Haïti, dans la rubrique "Des idées, des infos")

La première pompe servira au projet. Elle a été offerte à l’association par un particulier haïtien.
Etudier les statuts de leur association pour que cela (si c’est faisable) devienne une vraie coopérative et que tout le monde y gagne.


Des images du terrain qui est acquis. il est donné au comité pour le projet de cassaverie. C’est un bon début, et cela montre combien la population est partie prenante des projets de développement.
Pas facile de rassembler toutes ces informations : beaucoup de paysans ne savent pas lire. Mais c’est un beau projet et on nous fournit un terrain dans le centre du village. Nous y resteront trois jours et il y aura peu de temps pour préparer l’arrivée des volontaires et acheter les matériaux pour qu’ils puissent commencer tout de suite le travail de construction du premier étage de l’école Massawist à Verrettes.. Est-ce que les fournisseurs accepteront des chèques ? Est-ce qu’il faudra sortir des grosses sommes en liquide, avec les risques que cela comporte ?
Il y a quelques enfants parrainés à voir. Ils n’ont pas écrit depuis longtemps et les parrains demandent des informations. Mais ce sont les vacances et ils ne sont pas faciles à joindre. (Voir la chronique sur l’Ecole Massawist de Verrettes)