Insécurité alimentaire en Haïti.

Situation début avril 2024.

Crise d’insécurité alimentaire : des familles en manque de repas ou dans la mendicité en Haïti.

Près de 5 millions de personnes, soit la moitié de la population étudiée, font face à des niveaux critiques d’insécurité alimentaire aiguë, présente la dernière mise à jour de l’Analyse IPC publiée par la Commission Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA).

Par Jules Roberto Bernard. Le nouvelliste. Haïti.
03 avr. 2024

Près de 5 millions de personnes, soit la moitié de la population étudiée, font face à des niveaux critiques d’insécurité alimentaire aiguë, présente la dernière mise à jour de l’Analyse IPC publiée par la Commission Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA). Cette analyse révèle une réalité encore plus alarmante en Haïti dans le contexte d’une crise multi dimensionnelle, visible notamment dans ses aspects humanitaires et de sécurité. Cette capacité dont davantage de ménages haïtiens ont perdu de répondre à leurs besoins alimentaires est exacerbée par une série de facteurs complexes, allant de l’escalade de la violence des groupes armés à la dégradation des conditions économiques et environnementales. En fait, des milliers d’Haïtiens et Haïtiennes ne disposent pas d’un accès fiable à une alimentation adéquate et nutritive, mettant en péril leur santé et bien-être.

Dans le cas de la situation décrite en Haïti, où près de 5 millions de personnes sont en insécurité alimentaire aiguë, cela correspond à une classification en Phase 3 et 4 de l’IPC (Cadre Intégré de Classification de la Sécurité Alimentaire). En termes d’interprétation, une population en Phase 3 de l’IPC est considérée en situation de crise. D’un point de vue plus concret, les ménages ont des manques importants dans leur accès alimentaire et sont susceptibles de recourir à des stratégies d’adaptation sévères, telles que la réduction des repas ou la vente d’actifs, pour subvenir à leurs besoins alimentaires. D’autre part, une population en Phase 4 de l’IPC est en situation d’urgence, où l’insécurité alimentaire est très répandue et grave, et où les ménages ont recours à des stratégies désespérées pour survivre, comme le recours à la mendicité ou à la consommation de nourriture inappropriée.
Une violence croissante et des déplacements massifs

Au cours des derniers mois, la violence perpétrée par les groupes armés s’est intensifiée, forçant un nombre croissant de personnes à fuir vers des zones plus sûres. Actuellement, environ 362 000 personnes sont déplacées à l’intérieur du pays selon les derniers chiffres de l’Organisation Internationale de Migration (IOM) publié en mars 2024. Un tel mouvement de populations intensifie une crise humanitaire déjà complexe, avec des populations, déjà vulnérables, qui se retrouvent, déracinées et laissant derrière elles leurs simples moyens de subsistance et faisant ainsi face à une vulnérabilité encore accrue. Pour fuir les zones de conflits armés en Haïti, plus particulièrement au niveau de la région métropolitaine de Port-au-Prince, les familles, y compris les femmes, les filles, et les garçons, se déplacent vers des sites où ils sont confrontés à de nombreux risques notamment de protection.

Ces risques de protection ont des incidences graves sur la vie des déplacés, en particulier des enfants qui représente plus de 50 % dans près d’une centaine de sites.
Au nombre de ces risques de protection qui passent souvent inaperçus parmi le lot des misères de ces populations, il est important de noter la violence sexuelle et l’exploitation, le trafic d’enfants, le recrutement des enfants par les groupes armés, la séparation familiale, l’accès limité aux services de base, la stigmatisation et la discrimination. Chacun de ces risques couplés par la situation d’insécurité alimentaire est une crise en elle-même et pourraient faire l’objet d’une analyse spécifique.
Pour sensibiliser sur la portée de ces risques pour les enfants d’Haïti, en proie à tant de souffrances, certaines explications sont apportées dans ce texte. Dans le cas de la violence sexuelle et l’exploitation, les femmes et les filles sont particulièrement les plus vulnérables. Ce type de violence comprend le viol, la traite des personnes et le concubinage, surtout lorsque les filles se retrouvent déplacées et vivent dans des sites de réfugiés. Les enfants, en particulier les non accompagnés ou séparés de leur famille, sont aussi exposés au risque de trafic, où ils peuvent être exploités à des fins de travail forcé, de mendicité forcée ou de servitude domestique.
Dans le contexte actuel de violence, le recrutement des enfants par les groupes armés constitue un risque majeur et préoccupant. En effet, les enfants, en particulier les garçons, sont recrutés de force ou volontairement par des groupes armés lorsqu’ils sont déplacés et vivent dans des zones de conflits ou des sites de déplacés.

La séparation familiale est très fréquente lors des mouvements de populations. Les familles peuvent être séparées durant le déplacement, augmentant la vulnérabilité des enfants et des femmes à l’exploitation et à d’autres formes de violence.
D’une manière générale, l’accès limité aux services de base représente un enjeu majeur dans les sites de déplacés qui souvent ne sont pas équipés en conséquence. Les personnes déplacées ont avoir un accès limité aux services de base tels que la santé, l’éducation et l’eau potable dans les sites de réfugiés, ce qui compromet leur bien-être et leur sécurité. D’où les appels urgents et incessants des acteurs humanitaires pour mobiliser les ressources nécessaires et accéder en toute sécurité aux sites de déplacés.

Dans les sites de déplacés, un autre risque méritant d’être relaté est la stigmatisation et la discrimination. Les personnes déplacées sont souvent stigmatisées et discriminées dans les communautés d’accueil, affectant du coup leur accès aux services et leur intégration sociale.

La situation de violence actuelle a des impacts considérables sur la vie de milliers de familles haïtiennes. La situation des milliers de déplacés se réfugiant dans les sites est une résultante de cette violence. Et elle peut encore engendrer d’autres formes de violence au regard de tous ces niveaux de risques. Le niveau d’insécurité alimentaire dans lequel se retrouve une bonne partie de la population haïtienne a pour cause également ce niveau de violence, ajouté aux autres facteurs économiques et environnementaux.

Du coup, le pays se retrouve aujourd’hui dans un cercle terrible de crises, les unes plus alarmantes que les autres et dont la toute dernière est démontrée par la dernière analyse du Cadre Intégré de Classification de la Sécurité Alimentaire (IPC). L’impact de la violence sur la sécurité alimentaire est très significatif. La circulation des marchandises est entravée, contribuant à une augmentation des prix des denrées de base. Les données de l’IPC montrent une inflation supérieure à 20% par an, sur les 5 dernières années. Etant donné qu’Haïti dépend majoritairement des produits alimentaires importés, la fermeture soudaine des ports et aéroports à cause de l’insécurité va de plus en plus aggraver la situation, par l’indisponibilité des produits alimentaires de base et peut engendrer une pénurie de certains produits au niveau national. Parallèlement, la faible production agricole, causée par des précipitations inférieures à la normale et la décapitalisation des exploitants agricoles, ne fait qu’aggraver la crise. Même avec efforts des partenaires humanitaires et du gouvernement, seule une fraction de 5% de la population a pu bénéficier d’une assistance alimentaire au cours de la période allant du mois d’aout2023 à février 2024.

La crise actuelle que vivent les familles hattiennes requiert définitivement cette action urgente et coordonnée, sans être répétée mais indispensable pour leur survie. Les femmes, les filles et les enfants ont besoin d’une assistance imminente qui plus tard coutera encore plus cher avec davantage de victimes. Les partenaires humanitaires et le gouvernement doivent redoubler d’efforts pour fournir une assistance alimentaire efficace et durable à ceux qui en ont le plus besoin. Alors que des solutions immédiates ne peuvent plus attendre, des investissements à moyen et long doivent aussi se dégager, notamment à travers le renforcement des capacités agricoles, la promotion de la résilience communautaire, afin de prévenir une détérioration encore plus grave de la situation. Aussi, une vision plus large de l’aide à Haïti doit être élaborée en prenant en compte certes la dimension humanitaire mais aussi en adressant les questions de développement et en proposant des initiatives de construction de la paix dans ce pays.

Un appel urgent à l’aide est lancé pour Haïti, un pays qui lutte contre l’insécurité sous toutes ses formes, confronté à une crise humanitaire sans précédent, où chaque jour, des vies sont perdues et davantage se retrouvent en danger. Des actions communes d’un ensemble d’acteurs locaux et nationaux et aussi internationaux sont indispensables pour sauver des vies, protéger les communautés, les familles et les enfants. Un souffle d’espoir peut -être puisé dans un élan souhaité de conscience nationale, de solidarité humaine et internationale et de résilience des Haïtiens et Haïtiennes. Dans une perspective de reconstruction de tant de chantiers de développement dans le pays, des solutions endogènes réfléchies et sérieuses aux problèmes des différents secteurs de la vie nationale doivent être également formulées pour ne pas hypothéquer ce qui reste d’un avenir de tant de jeunes et d’enfants en proie déjà à la violence et à la faim.

Jules Roberto Bernard
Conseiller technique en Sécurité alimentaire et Moyens d’existence
Save the Children Haïti